LA MODALISATION-QUELQUES TYPOLOGIES
Ilie MINESCU
Universitatea de Vest din Timişoara
La modalisation est une notion conflictuelle de la linguistique contemporaine. Cela résulte de sa polymorphie et de son caractère vaste et mouvant. De plus, elle peut être abordée sous divers angles et elle est étudiée aussi bien en logique, en linguistique qu'en sémiotique. a modalisation permet au locuteur de manifester une attitude par rapport à ce qu'il dit. Nous partons de l'hypothèse que la modalisation est un phénomène occasionnel, caractérisé par un dédoublement énonciatif avec un commentaire réflexif portant sur l'énoncé du locuteur.
La modalisation pourrait alors être définie comme un phénomène de double énonciation dans lequel l'une des énonciations se présente comme un commentaire porté sur l'autre, les deux énonciations étant à la charge d'un même locuteur. Il s'agira donc pour nous de montrer comment le recours à la modalisation permet à un locuteur de se construire l'image d'un sujet distancié par rapport à son dire, entraînant ainsi une incidence sur le sémantisme de son énoncé.
La typologie de Culioli
Selon Culioli (1984), les phénomènes de modalisation sont réductibles à quatre grands types de modalités numérotés de un à quatre:
-La modalité de type 1: elle comprend l'assertion (positive ou négative), l'interrogation, l'injonction (ou « impératif ») et l'assertion fictive (ou « hypothétique »). La modalité de type 1 renvoie à ce qu'on appelle couramment les modalités de phrase. Il s'agit d'une prise de position pas nécessairement consciente du sujet quant au mode de verbalisation de la relation prédicative.
-La modalité de type 2: elle est essentiellement constituée de la modalité épistémique (certain, probable, possible, nécessaire, etc.). Douay (2003:4) indique que cette modalité établit une relation entre l'énonciateur et le contenu propositionnel de son énoncé. Elle s'exprime principalement à travers certains auxiliaires modaux et certains adverbes. Il est question d'évaluer quantitativement les chances de validation de la relation.
-La modalité de type 3: elle renvoie à la modalité appréciative ou affective centrée sur le jugement énonciateur qui marque un jugement qualitatif à l'égard de son discours. A l'aide de cette modalité, l'instance énonciative peut construire des évaluations, des non-prises en charge vis-à-vis des propos émis. Vignaux (1988:110) souligne, du reste, que par l'intermédiaire de la modalité de type 3, pourront se construire toutes les distances, les évaluations, les non-prises en charge par le sujet de tel ou tel type d'assertion voire, réciproquement des jugements « autocentrés ».
Plus simplement, la modalité de type 3 permet au locuteur de donner son avis par rapport au contenu de l'énoncé qu'il profère.
-La modalité de type 4: elle réfère à la modalité intersubjective à travers laquelle l'énonciateur essaye d'exercer une influence sur autrui. Cette modalité trouve sa principale illustration dans la valeur dite déontique des auxiliaires modaux.
A travers la présentation de la typologie culiolienne, nous constatons que chaque expression de la modalité (quel que soit le type dont elle relève) privilégie soit la relation énonciateur-énoncé, soit la relation énonciateur-co-énonciateur, sans que l'une des deux relations soit complètement absente. En outre, Bouscaren et Chuquet (1987:36) notent un degré d'engagement de l'énonciateur vis-à-vis de la relation prédicative de plus en plus marqué. En effet, si les modalités de type 1 témoignent d'une certaine neutralité de l'énonciateur quant à la validation, sa présence est de plus en plus marquée lorsqu'on passe aux modalités de type 2 ainsi de suite. La modalité épistémique, d'après Culioli (1984), permet d'évaluer quantitativement les chances de validation de la relation prédicative. Il nous a semblé que cela correspondait plutôt à la modalité aléthique. D'autant plus que comme le dit Pottier (1992:216), l'épistémique est le domaine du croire, du connaître, du souvenir, mettant en oeuvre le cognitif. De ce fait, la modalité épistémique donne la possibilité au locuteur de situer son énoncé par rapport à la connaissance et la croyance.
Une autre raison pour laquelle nous n'avons pas choisi la typologie de Culioli (1984) réside dans le fait qu'elle considère que toute phrase comporte obligatoirement un procédé de modalisation, or la modalisation est un phénomène occasionnel. Dans ces conditions, Culioli s'oppose à Le Querler (1996) qui estime que certains énoncés peuvent ne pas être modalisés.
I.3- La typologie de Le Querler
La modalité, selon Le Querler (1996:61), peut être perçue comme une expression de l'attitude du locuteur par rapport au contenu propositionnel de son énoncé. Cette définition exclut l'assertion simple qui ne contient aucun marqueur de l'attitude du locuteur. L'assertion simple est constative ou informative sans aucun marqueur explicite de modalisation. Après avoir défini la modalité, Le Querler (1996) propose un classement des modalités qui s'organise autour du sujet énonciateur.
-La modalité subjective: elle est l'expression du rapport entre le sujet énonciateur et le contenu propositionnel, et correspond aux modalités épistémique et appréciative. Plus concrètement, Laurendeau (2004:4) parle de modalité subjective lorsqu'il est question d'une fluctuation du savoir ou de la prise de parti du sujet énonciateur. En d'autres termes, la modalité subjective est présente dans un énoncé si le locuteur y exprime un savoir ou une prise de position.
-La modalité intersubjective: elle renvoie au rapport établi entre le sujet énonciateur et un autre sujet à propos du contenu propositionnel. Autrement dit, c'est l'ensemble des attitudes susceptibles de mettre en relation un locuteur et son allocutaire à propos d'un énoncé.
-La modalité objective: Le Querler (1996:64) pense que cette modalité n'intervient que si le sujet énonciateur subordonne le contenu propositionnel à une autre proposition. Il s'agit d'une modalité qui ne dépend ni du jugement de l'instance énonciative, ni de son appréciation, ni de sa volonté.
Au regard de cette sous-catégorisation de Le Querler (1996), Vion (2001:218), estime qu'au niveau de la modalité objective, il paraît inacceptable de présenter les rapports entre propositions comme des phénomènes objectifs indépendants d'un sujet parlant.
Il n'est donc pas évident d'admettre qu'il puisse exister des énoncés qui soient purement constatifs. Aucun énoncé ne saurait se limiter à décrire une réalité si l'on prend en compte que, le simple fait de nommer passe par les filtres de la perception, de l'interprétation, de la catégorisation. C'est pourquoi, pour classifier les procédés de modalisation, des linguistes tels que Galatanu (2002) se limitent au recensement des phénomènes linguistiques témoignant d'un jugement ou d'un commentaire du locuteur sur son discours.
I.4- La typologie de Galatanu
Galatanu (2002) regroupe les domaines modaux en quatre classes:
-Les valeurs ontologiques: elles sont incluses dans ce que Galatanu nomme la zone modale des valeurs existentielles. Cette linguiste (2002:22) soutient que ces valeurs sont relatives à la perception de l'existence du monde naturel et de la société tels qu'ils sont représentés dans et par le discours. Les valeurs ontologiques sont composées des domaines aléthique et déontique. Galatanu (ibid.) insiste sur le fait que les valeurs aléthiques concernent l'appréhension du fonctionnement des lois naturelles. En mots plus simples, l'aléthique permet d'indiquer si un fait est nécessaire, possible, impossible ou aléatoire.
-Les valeurs de jugement de vérité: elles sont constituées de l'épistémique qui relève du savoir et des valeurs doxologiques qui relèvent du croire.
-Le jugement axiologique, quant à lui, est un jugement de valeur organisé selon une logique binaire, chaque jugement comportant deux pôles, positif et négatif. Le jugement axiologique comprend quatre domaines: l'esthétique (beau et laid), le pragmatique (utile et inutile), l'intellectuel (intéressant et inintéressant), l'affectif (heureux et malheureux).
-Le domaine des valeurs finalisantes est constitué du désidératif et du volitif.
La classification de Galatanu (2002) organise les valeurs modales en un système cohérent et fini. Néanmoins, on se demande pourquoi cet auteur considère la modalité déontique comme une valeur ontologique dans la mesure où cette modalité renvoie surtout aux notions d'obligation et de permis et non de l'être. Par ailleurs, Galatanu n'explique pas pourquoi le désidératif et le volitif sont considérés comme des valeurs finalisantes.
Jusqu'ici, les différentes typologies de procédés de modalisation présentées nous ont paru parfois contradictoires et pas très compréhensibles, c'est pourquoi nous avons également analysé la classification de Gardes-Tamine et Pelliza (1998).
.5- La typologie de Gardes-Tamine et Pelliza
Gardes-Tamine et Pelliza (1998) pensent que la modalisation peut être exprimée à travers trois types d'appréciation:
-Les premières confèrent au contenu du dictum un certain degré de réalité et de consistance: ce sont les modalités dites logiques encore appelées modalités d'énoncé, elles se divisent en trois catégories.
Les modalités aléthiques, d'après Gardes-Tamine et Pelliza (1998:93), concernent la valeur de réalité de la proposition (nécessaire, impossible, possible, contingent). En fait, les modalités aléthiques permettent d'évaluer les chances de réalisation du contenu d'un énoncé.
Les modalités épistémiques marquent le savoir de l'énonciateur (certain, plausible, douteux, contestable).
Les modalités déontiques expriment le devoir ou le droit (permis, obligatoire).
-Les deuxièmes types d'appréciation dénotent un engagement psychologique: ce sont les modalités affectives qui renvoient au domaine de l'axiologie. Gardes-Tamine et Pelliza (ibid.), estiment qu'elles n'affectent pas le contenu de la proposition, mais indiquent simplement la façon dont le locuteur le considère comme souhaitable, regrettable, redoutable...
-Les troisièmes types renvoient aux modalités métalinguistiques. Nous préférons cependant la dénomination modalisation autonymique d'Authier-Revuz. Ce terme désigne les commentaires du locuteur sur son énoncé et concerne non pas le contenu de cet énoncé, mais l'adéquation du dictum au monde, aux intentions du locuteur.
BIBLIOGRAPHIE
Authier-Revuz, J., Ces Mots qui ne vont pas de soi. Boucles réflexives et non- coïncidences du dire, Paris, Institut Pierre Larousse, 1995
Bouscaren, J., et, Chuquet, J., Grammaire et textes anglais, Guide pour l'analyse linguistique, Paris, Ophrys, 1987.
Culioli, A., Pour une linguistique de l'énonciation, tome 1, Paris, Ophrys, 1990.
Culioli, A., Notes du séminaire de DEA 1983-1984, Paris, Université Paris 7, 1984.
Douay, C., « Des Modalités de l'interlocution au système des modaux », in, CORELA -Cognition, Représentation, Langages, I-, 2003, pp.1-31.
Galatanu, O., Les Valeurs, Nantes, Guépin, Maison des sciences de l'homme, Ange, 2002.
Gardes-Tamine, J., et, Pelliza, M.-A., La Construction du texte. De la grammaire au style, Paris, Armand Colin, 1998
Le Querler, N., Typologie des modalités, Caen, Presses universitaires de Caen, 1996
Pottier, B., Théorie et analyse en linguistique, Paris, Hachette, 1992.
Vignaux, G., Le Discours acteur du monde. Enonciation, argumentation et cognition, Paris, Ophrys, 1988.
Vion, R., "Modalités, modalisations et activités langagières", in, Marges linguistiques n°2, M.L.M.S, 2001, pp.209-231.
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